C'est un moment de cinéma : une comédienne américaine, pose ses lèvres charnues sur la joue gauche d'un jeune acteur français à la moue incrédule, parigot jusqu'au bout de la cigarette. Belmondo-Seberg le couple mythique d'A bout de souffle : mais tout est faux, et pourtant on y croit dur comme fer.
"Les gens ne le savent pas, mais cette photo n'est pas tirée du film, la scène n'existe pas, c'est moi qui l'ai créée de toutes pièces en emmenant Jean-Paul et Jean en bas des Champs-Elysées, au calme, puis en leur demandant de se donner ce baiser? Godard, lui, estimait ne pas avoir besoin de ce gros plan. On a donc fait ça tous les trois en trente secondes, dans l'improvisation et la bonne humeur."
Il est celui qui a le mieux capté l'esprit de la Nouvelle vague, et pourtant Raymond Cauchetier , 95 ans, 80 000 clichés au compteur, préfère ses reportages sur l'Asie ou sur l'art roman à sa courte carrière de photographe de plateau de 1956 à 1963, avec toutefois un retour éclair en 1968 pour "Baisers volés" de Truffaut.
Et qui sait que ce cliché, comme tant d'autres, aura marqué l'histoire du cinéma et gagné sa place dans le grand livre d'images du XXème siècle ?
"Les producteurs de films ne nous aimaient pourtant pas, nous, les photographes de plateaux. On était payés au minimum syndical comme des machinistes ; tout le monde se fichait de notre travail, destiné à la scripte et aux affiches promotionnelles. Personne n'imaginait que mes photos traverseraient les décennies ... Mais les acteurs, eux, m'aimaient bien, ils devenaient mes complices : c'était dans leur intérêt, ils savaient que mes photos allaient servir à leur renommée personnelle."
Années heureuses pour ce touche-à-tout - "mais tellement mal payées que j'ai tourné le dos au cinéma pour partir réaliser des romans-photos pour Dargaud "- et bien d'autres aventures photographiques qui feraient elles-mêmes un véritable roman-photos de son existence et à quoi il répond dans un beau texte repris sur son site Internet : "[...] j'ai passé une partie de ma vie à photographier ce qui me plaisait, sans me préoccuper de la rentabilité immédiate de mes travaux, ce qui était très imprudent. Mais je ne le regrette pas. J'ai vécu librement, ce qui n'a pas de prix."
D'après l'article d'Emmanuel Tellier paru dans Télérama 3431 14/10/15
A VOIR La Nouvelle Vague de Raymond Cauchetier
Exposition jusqu'au 17 janvier 2016, galerie de L'instant Paris 3ème
A LIRE Raymond Cauchetier's New Wave ACC Editions 240 p., 47€
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